Du Requiem aux Noces
Extrait de La Télé sans écran
Je demandais naguère que la télé donne promptement une femme à Figaro. Il faut croire que ma voix porte, c’est pour le mercredi 10 mars. Nous verrons en direct de l’Opéra « Les Noces de Figaro » et pourrons les entendre en même temps sur France-Musique. Ne manquez pas ça, surtout si vous pensez ne rien y connaître. Il n’y a pas de plus merveilleuse introduction à la musique et au chant. Ce sera quelques jours à peine après le « Requiem », trois mois après « Don Giovanni ». Il va en toucher des droits d’auteur, le fameux Mozart !
Oui, « le fameux Mozart », selon l’immortelle expression de Guy Lux qui l’avait classé troisième à je ne sais plus quel « hit-parade ». Il fera mieux la prochaine fois.
Du Requiem aux Noces, on exalte ce qui arrive à l’homme, et non ce qu’il produit. Ici seulement l’art prend racines : témoignage de ce qui nous est venu, méditation sempiternelle des visitées de l’être. (Et comment oublier les innombrables « Nativités » ?) Accueil, dans le désengagement de tout le reste. C’est en vain qu’au cours des âges on a demandé à l’art de magnifier les efforts ds l’homme : des palais de l’industrie au réalisme socialiste il n’a pu que s’y ridiculiser. Et les arcs de triomphe eux-mêmes ne survivent aux vaines gloires que pour savoir accueillir celle du soleil. Flaubert a dit cela une fois pour toutes : écoutez M. Homais, archétype de l’imbécile, porter le toast qui donne à jamais le secret du « pompier » : « À l’industrie et aux beaux-arts, ces deux sœurs ! »
Célébrer la mort. Célébrer le mariage. La culture commence aux noces et banquets et c’est là qu’elle s’achèvera : banquet céleste, entre harpes obligées et échansons obligeants. Notre salut pour toujours s’y est fondé : « Si vous ne mangez pas ma chair… » La punition du traître elle-même s’y accomplit : « Don Juan ou la festin de pierre »… celui où il n’y plus rien à partager pour l’homme qui n’a su que prendre.
Mais parlons d’espérance. Le Requiem de Mozart en est plein. Une espérance à la mesure de l’angoisse dont aucun homme ne peut se flatter de faire l’économie. Espérance et angoisse inséparables dans ce « Dies Iræ » qui en est le centre et qui rayonne d’humanité perdue et sauvée.
On a chassé le Dies Iræ des églises. « Lacrymosa dies illa » ! Mais le plus bête peut toujours brûler un vrai poème, le plus dégourdi n’est jamais sûr d’en inventer un meilleur. Attendons, car cela est un pur don du ciel et il ne suffit pas de nommer à cet effet une commission de la production poétique, même en liturgie. Alors « Rorate cœli desuper » ! Et ne désespérons pas : après tout, c’est dans le désert que les hébreux ont reçu la manne…
Cet entracte de la liturgie nous laisse du moins les « concerts spirituels ». Le Requiem que dirigeait Michel Corboz fut à plus d’un titre une bien douce consolation. Ceux qui ont chanté avec ce chef de Suisse romande (ils sont quelques-uns dans le Gers) l’auront retrouvé vendredi 27 dans l’enthousiasme. Et davantage le dimanche précédent, s’ils ont pu suivre la répétition dans « La leçon de musique », une émission dont je ne dirai jamais assez de bien. Même pas besoin d’aller la chercher : elle vient une fois par mois, après le film du dimanche soir, avant que vous ayez pu quitter votre fauteuil.
« Les Noces de Figaro » du 10 mars méritent peut-être quelques lignes d’introduction. Notre Beaumarchais avait écrit « Le Mariage de Figaro », pièce de talent dont Mozart sut faire des « Noces » de génie.
On part de la machination, dans cette fin du siècle de l’intrigue : feintes, contre-feintes, appétits, coquetterie, chacun veut faire marcher l’autre à l’époque de l’automate, mais les astuces ne mènent nulle part et l’amour fait rendre les armes, l’amour qui pardonne et l’amour qui unit. Il est la clef du seul mouvement qui ne doit rien à la machine. Rideau sur le banquet de la réconciliation : « Corriam tutti a festeggiar ! »
La mise en scène que nous verrons accuse, paraît-il, d’autres traits : la lutte des classes (je m’y attendais ! – et c’est vrai qu’elle n’est pas absente – mais c’est le petit bout de la lorgnette !), la volonté de se posséder, le moralisme abstrait d’une fin de carton-pâte. Il me semble que je saurais développer cela : moi aussi, je les connais, « les grilles d’analyse » ! Ce sont celles de nos prisons. Mozart, qui marche dans les airs, n’en eut jamais.