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Témoignage de Michel Dieuzaide, photographe

Le Livre secret !

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   Oser écrire un texte sur Pierre, relève de la gageure, et probablement d’une certaine audace !

   Du moins lorsqu’on ne possède, ni sa culture, ni sa plume, pas même cette présence gasconne si attachante qui était la sienne… Mais l’amitié, combinée au souvenir, peut aider à franchir ce pas.

   L’homme était séduisant et d’un commerce aussi simple qu’agréable qui forçait l’admiration. Je me remémore avec émotion ces échanges vifs et riches, sur les philosophes, la tauromachie, la religion, les arbres, ou René Girard, et même de vieux armagnacs… Souvent dans la salle de séjour de la belle et vieille maison de Lectoure, aux volets mi-clos en ces chaleurs d’été, animée des allées et venues constantes vers la bibliothèque, pour prendre le livre qui allait étayer le propos. Cela durait, et le temps n’avait plus d’autre visage que la précision et la qualité de l’échange. Jusqu’à que discrètement, entre Simone, soit avec un rafraîchissement, soit pour aviser que la table était mise. Et c’était alors la Gascogne toute entière qui « déboulait » dans les mets, le vin, et les propos qui retrouvaient autour du repas partagé, une altitude plus raisonnable, mais toujours bien adaptée au moment présent. Nous étions plongés dans une harmonie du tout, en somme, que l’on est nombreux à chercher, sans parvenir à la grâce qui était celle des hôtes de ce havre de paix.
Jean Tortel disait à propos de Simone Weil, que, lors de leurs rencontres aux Cahiers, elle incarnait à la fois : «… l’écart et la présence essentiels. » Cette phrase qualifiante, n’est pas sans écho pour moi lorsque je pense à Pierre Gardeil, à cette humanité savante, à cette présence rayonnante, qui émanaient de lui. Voilà en quelques mots, le souvenir si chaleureux que je conserve de ces rencontres auxquelles venait parfois se mêler Michel Serres et d’autres amis, écrivains, artistes, ou simplement voisins, qui pour ces mêmes raisons, venaient nourrir la vie intense de la maison.

   Ayant publié un livre sur la tauromachie que je lui avais offert, Pierre me montra un projet où, ayant relevé dans diverses œuvres de la littérature française, des textes, des phrases, des vers parfois, célébrant le mythe taurin, il souhaitait les illustrer par certaines de mes photographies. Je trouvais l’idée séduisante et nous convînmes ensemble des associations. Le projet conçu ayant du sens, je lui proposais de rencontrer un ami éditeur. Nous voilà partis pour Cognac où était sise la maison d’édition. Vous imaginerez sans peine que, le dialogue aidant, jamais trajet en voiture ne m’a paru plus court… Hélas les tergiversations de l’éditeur n’ont pas permis au livre de paraître. Seule une version numérique est consultable. Je le regrette, car dans la kyrielle des livres insignifiants sur le sujet, cet ouvrage aurait eu sa belle originalité culturelle.

   On me demande souvent quelle est ma plus belle photographie ? Question à la fois dérisoire et convenue… J’ai pour coutume de répondre : « Celle que je n’ai pas faite ! » Une pirouette qui a pourtant sa part de réalité, lorsqu’on se retourne simplement sur le sentier qu’on a foulé… 
  L’essentiel n’est-il pas infiniment dans ce que nous aurions pu faire et qui n’a pas éclos ?

Je me plais à penser qu’entre Pierre et moi, demeure le privilège de ce lien complice autour d’un livre commun qui, sans doute pour l’éternité, ne verra jamais le jour.

 

michel dieuzaide – Castelvieilh – Août 2020

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